Galerie de Peinture


The breath art, une mémoire enchevêtrée

La représentation figurative lors des séances en extérieur m’a mené d’une gestuelle expressive dans la trace à ce dialogue avec l’élément. Le monde flottant de mon environnement a mené ma main vers l’abstraction des éléments pour mieux apprendre à dialoguer. Ce temps du rêve est à la fois une cosmogonie et la mémoire agissante : un territoire mouvant. C’est le rêve où les résurgences mémorielles émergent comme ancêtres, qu’ils soient animales ou végétales, minérales et fluides, ces mythiques aïeux sont sortis de l’inerte, ont cheminé à travers le temps, se sont rencontrés, et ont formé ces matières en mouvement qui constituent ces strates paysagés primitives.
Là, la méditation de la matière éduque l’imaginaire.

L’écoulement d’un fluide, la trace captée en surface constituent un itinéraire, une piste de rêves. Elles forment une géométrie physique et spirituelle, le fondement de mon art graphique. Le prélèvement dans son état initial est une donnée du temps immémorial à notre réalité profane, une mémoire active, vivante. Une matrice pourrais-je affirmer dans laquelle viennent se perpétuer les rêves ? Il contient des histoires transmises depuis la nuit des temps. Une histoire ancestrale peut-être associée à une histoire contemporaine.

C’est vécu comme une permanence. Tout l’enjeu est là, c’est une résonance que je cherche à démontrer à travers l’expérience plastique, esthétique, écologique et naturaliste, par la captation graphique des fluides en présence dans un dialogue ou le mouvement universel devient le pendule temporel, une calligraphie fluidique. La thématique explorée s’enchevêtre parfois, entre science des mouvements et réalisme du graphisme épuré des images du monde flottant, et permet ce maillage où le cheminement dans l’exposition devient ouvert et non directif pour le regardeur: libre de lire pour écrire dans l’inconscient, son propre voyage.

La peinture, une vigueur incontestable par sa motricité dans la création contemporaine

Je revendique un plaisir du geste, renouant avec la capacité expressive de la peinture. Ainsi mes références multiples servent à construire une œuvre polymorphe qui intègre autant la pratique du dessin figuratif que l’empreinte d’une trace aléatoire sur un support.

Chaque travaux suggère une séquence mémorielle statique d’un fluide en mouvement.
Chaque morceau de peinture est par conséquent le reflet des conditions de sa réalisation, in situ, que je laisse transparaître à travers elle.
Ainsi comme une dimension limitant l’œuvre, ma touche exprime mon tempérament au moment de l’action. J’explore le mouvement par la staticité : une trace vivace par une empreinte amorphe.
Ma référence iconographique ne se limite pas à une matière/surface naturelle : houle marine, diffraction fluviale, et puise également sa source colorante dans le vitrail religieux, par sa puissance visuelle lumineuse évocatrice.
La peinture propose ainsi, sur elle-même, un regard réflexif par l’instant visuel saisit.
Ne devient-elle pas à son tour une contemplation religieuse, ou se mêle d’une part, l’introspection contemplative d’un modèle à transfigurer, et de l’autre, la symbiose d’une liberté acquise par cet héritage pictural millénaire enfoui.

Didier Grare 2016

Car Didier Grare est bien un peintre de paysages : c’est dans les ombres des frondaisons et la lumière des sous-bois qu’il a trouvé ses contrastes de tons ; le vent qui fait ployer les herbes bat la mesure de la touche sur ses tableaux. Et c’est dans l’acide jaune de la lumière qui vient manger les persiennes qu’il trouve ses oppositions de valeur. Didier Grare est en quelque sorte toujours sur le fil de cette abstraction qu’appelle la nature. Ce que peint l’artiste de Nabinaud n’est pas une représentation de la nature qu’il a sous les yeux, ce n’est pas non plus l’expression de ses sentiments face à elle. Ce qu’il peint est autre.

La peinture de Didier Grare est la retranscription la plus fidèle possible des forces vives de la nature. En ce sens, il existe un lien commun, une même célébration peut-être, dans ses tableaux à lui que dans les paysages de Rebeyrolle ou de Pier Kirkeby, si ce n’est que la monumentalité et la « furia » laissent ici la place à une délectation intimiste de la couleur. Car s’il est une composante qui définit la peinture de Didier Grare, c’est bien l’utilisation qu’il fait de la couleur. Il ne peint pas avec : il dessine.

Chaque peintre, le pinceau en main et face à la toile vierge, pense nécessairement à tous ceux qui l’ont précédé, au geste des millions de fois répété de la soie chargée de pigments qui vient s’écraser sur la toile. En même temps, ce geste n’a de sens que si l’artiste trouve sa voie unique, que s’il donne de la voix. C’est dans cet entre-deux, cette oscillation perpétuelle, que réside tout l’enjeu de la peinture. « Si j’ai vu plus loin, c’est en montant sur les épaules de géant » disait Isaac Newton…

Sur une trame rapidement ébauchée au brou de noix, sur le carton ou la toile, Didier Grare s’élance sans filet … « chaque tableau est un peu comme un match de boxe » comme il aime à le dire lui-même. Dina Vierny écrivait au sujet de Bonnard qu’il ne créait pas avec la couleur, mais qu’il l’inventait² . Cette expression heureuse pourrait s’inscrire au fronton de l’atelier de Nabinaud, tant elle semble convenir au maître de céans. Il y a là une franchise dans l’épanchement de la pâte, une générosité dans la matière grâce auxquelles la peinture entre de plain-pied dans la troisième dimension. Toute peinture porte en elle le discours de sa propre élaboration. Celle de Didier Grare est en ce sens furieusement explicite. Tonitruante, même. On peut y voir là l’expression d’une soif de liberté acquise après une période de formation passée à apprendre les techniques anciennes, une époque passée à peindre des nature-mortes dans la tradition des maîtres flamands, une époque où le Traité de Cennino Cennini constituait un livre de chevet. Aujourd’hui sa peinture, posée sur ces stables fondations, a gagné en spontanéité. Mélangeant allègrement les techniques, malaxant ses pâtes à l’aide de pigments parfois aussi inusités que le bleu de Scheveningen et le violet d’Egypte, Didier Grare a acquis une gestuelle ample et déterminée, naviguant entre l’instinct et la transe. Au sujet de la couleur chez Jacques Truphémus – un des meilleurs peintres français selon Balthus – Yves Bonnefoy a écrit :

« La couleur, souvent, ce n’est dans la chose vue par un peintre qu’une des manifestations de la matière de cette chose, et d’abord de son matériau puisque dans la perception du rouge d’une étoffe, disons, ou de l’ocre bleu d’une écorce, se marquent aussitôt les intrications du tissage ou du grain du bois. Elle est ainsi en osmose avec des impressions de nature tactile ou plus élémentaires encore, et c’est de cette évidence que bien des œuvres procèdent : tel peintre descend dans le satin chatoyant ou l’ébène pour le simple plaisir d’une sensation plus poussée, tel autre va dans le vert ou le jaune d’un tournesol se nourrir des sèves d’une énergie ressentie comme primordiale ³».

Cette démarche de transformation, mieux de transmutation, de la nature en couleur est parfaitement applicable ici aussi : cette énergie primordiale est sans nul doute la source originelle à laquelle vient s’abreuver l’artiste pour restituer son interprétation. La peinture est une fenêtre sur la nature que Didier Grare ouvre en grand. Il nous appartient de saisir la beauté vivace de ce qu’il nous montre.

¹. Camille Corot, Carnet 17, cité dans Camille Corot, Editions de l’Amateur, 1996, p. 44.
². Cité dans Bonnard, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 2006, p. 270.
³. Jacques Truphémus, Rh Editions, 2011, p. 11.

Par Laurent Benoist
Rédacteur – Pratiques des Arts